Tuesday, June 08, 2004

WSJ.com - Pentagon Report Set Framework For Use of Torture

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LE STRATEGE ET LE PHILOSOPHE; Qui sont ces neoconservateurs qui jouent un role essentiel dans les choix du president des Etats-Unis, au cote des chret

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Copyright 2003 Le Monde
Le Monde

April 16, 2003

SECTION: Horizons

LENGTH: 3448 words

HEADLINE: LE STRATEGE ET LE PHILOSOPHE; Qui sont ces neoconservateurs qui jouent un role essentiel dans les choix du president des Etats-Unis, au cote des chretiens fondamentalistes? Et qui etaient leurs maitres a penser, Albert Wohlstetter et Leo Strauss?

BYLINE: Alain Frachon et Daniel Vernet

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C'ETAIT dit sur le ton de l'eloge sincere: Vous etes certains des meilleurs cerveaux de notre pays; tellement bons, ajoutait George W. Bush, que mon gouvernement emploie une vingtaine d'entre vous. Le president s'adressait, le 26 fevrier, a l'American Entreprise Institute, a Washington ( Le Monde du 20 mars). Il rendait hommage a un cercle de reflexion (think tank) qui est l'un des bastions de la mouvance neoconservatrice americaine. Il saluait une ecole de pensee qui marque sa presidence et disait tout ce qu'il doit a un courant intellectuel a l'influence aujourd'hui predominante. Il reconnaissait etre entoure de neoconservateurs et les creditait d'un role essentiel dans ses choix politiques.

Au tout debut des annees 1960, John F. Kennedy avait recrute au centre gauche, a l'universite Harvard notamment, certains professeurs choisis parmi the best and the brightest - les meilleurs et les plus intelligents, pour reprendre l'expression de l'essayiste David Halberstam. Le president George W. Bush va, lui, gouverner avec ceux qui ont justement, a partir des annees 1960, rue dans les brancards de ce consensus centriste, a coloration social -democrate, alors dominant.

Qui sont-ils? Quelle est leur histoire? Quels furent leurs maitres a penser? Ou sont les origines intellectuelles du neoconservatisme bushien?

Les neoconservateurs ne doivent pas etre confondus avec les chretiens fondamentalistes, qu'on trouve aussi dans l'entourage de George W. Bush. Ils n'ont rien a voir avec la renaissance d'un integrisme protestant venu des Etats du Sud, ceux de la ceinture biblique ( Bible Belt), et qui est l'une des forces montantes dans le Parti republicain d'aujourd'hui. Le neoconservatisme est de la Cote est; un peu californien, aussi. Ses inspirateurs ont un profil intellectuel, souvent new-yorkais, souvent juifs, ayant commence a gauche. Certains se disent toujours democrates. Ils ont une revue litteraire ou politique a la main, pas la Bible; ils portent des vestes en tweed, pas les costumes croises bleu petrole des televangelistes du Sud. La plupart du temps, ils professent des idees liberales sur les questions de societe et de moeurs. Leur objectif n'est ni d'interdire l'avortement ni d'imposer la priere a l'ecole. Leur ambition est autre.

Mais, explique Pierre Hassner, la singularite de l'administration Bush est d'avoir assure la jonction entre ces deux courants. George W. Bush fait vivre ensemble neoconservateurs et chretiens fondamentalistes. Ces derniers sont representes dans le gouvernement par un homme comme John Ashcroft, le ministre de la justice; les premiers ont l'une de leurs vedettes au poste de ministre adjoint de la defense, Paul Wolfowitz. George W. Bush, qui fit campagne au centre droit, sans ancrage politique tres precis, a realise un cocktail ideologique etonnant, et detonant, mariant Wolfowitz et Ashcroft, neoconservateurs et integristes chretiens, deux planetes opposees.

Ashcroft a enseigne a la Bob-Jones University, en Caroline du Sud, academiquement inconnue mais place forte du fondamentalisme protestant. On y tenait des propos frisant l'antisemitisme. Juif, d'une famille d'enseignants, Wolfowitz est un brillant produit des universites de la Cote est; il eut deux des professeurs parmi les plus eminents des annees 1960, Allan Bloom, le disciple du philosophe juif d'origine allemande Leo Strauss, et Albert Wohlstetter, professeur de mathematiques et specialiste de strategie militaire. Ces deux noms vont compter. Les neoconservateurs se sont places sous l'ombre tutelaire du stratege et du philosophe.

Mal nommes, ils n'ont rien, non plus, de gens qui voudraient garantir l'ordre etabli. Ils rejettent a peu pres tous les attributs du conservatisme politique tel qu'on l'entend en Europe. L'un d'entre eux, Francis Fukuyama, qui s'est rendu celebre par son essai La Fin de l'histoire, assure: Les neoconservateurs ne veulent en rien defendre l'ordre des choses tel qu'il est, fonde sur la hierarchie, la tradition et une vue pessimiste de la nature humaine ( Wall Street Journal du 24 decembre 2002).

Idealistes-optimistes, convaincus de la valeur universelle du modele democratique americain, ils veulent mettre fin au statu quo, au consensus mou. Ils croient en la politique pour changer les choses. Sur le front interieur, ils esquissent la critique d'un Etat-providence, produit de presidences democrates (Kennedy, Johnson) et republicaine (Nixon), qui peine a resoudre les problemes sociaux. En politique etrangere, ils denoncaient dans les annees 1970 la detente, qui, disaient-ils, profitait plus a l'URSS qu'a l'Occident. Critiques du bilan des sixties et opposes au realisme diplomatique d'un Henry Kissinger, ils sont anti-establishment. Irving Kristol et Norman Podhoretz, fondateur de la revue Commentary, deux des parrains new-yorkais du neoconservatisme, viennent de la gauche. Ils formulent une mise en cause de gauche du communisme sovietique.

DANS Ni Marx ni Jesus (1970, Robert Laffont), Jean-Francois Revel avait decrit une Amerique plongee dans les tumultes de la revolution sociale des annees 1960. Il explique aujourd'hui le neoconservatisme comme une maniere de retour de baton. Sur le front interieur, d'abord. Les neoconservateurs critiquent, dans le sillage de Leo Strauss, le relativisme culturel et moral des annees 1960. Pour eux, le relativisme va deboucher sur le politically correct des annees 1980.

C'est un autre intellectuel de haut rang qui mene ici la bataille, Allan Bloom, de l'universite de Chicago, que son ami Saul Bellow a peint dans son roman Ravelstein (Gallimard, 2002). En 1987, dans The Closing of the American Mind (traduit en francais sous le titre L'Ame desarmee ), Bloom pourfend un milieu universitaire pour qui tout se vaut: Tout est devenu culture, ecrit -il; culture de la drogue, culture rock, culture des gangs de la rue et ainsi de suite sans la moindre discrimination. L'echec de la culture est devenu une culture.

Pour Bloom, grand interprete des textes classiques a l'image de son maitre Strauss, une partie de l'heritage des annees 1960 aboutit a un mepris de la civilisation occidentale par elle-meme, explique Jean-Francois Revel. Au nom du politiquement correct, toute culture en vaut une autre et Bloom s'interroge sur ces etudiants et ces professeurs parfaitement disposes a admettre des cultures non europeennes souvent attentatoires aux libertes et qui manifestaient en meme temps une extreme severite pour la culture occidentale, se refusant a la reconnaitre superieure en aucun point.

Pendant que le politically correct donne l'impression de tenir le haut du pave, les neoconservateurs marquent des points. Le livre de Bloom est un immense succes. En politique etrangere, une veritable ecole neoconservatrice a pris forme. Des reseaux s'installent. Dans les annees 1970, le senateur democrate de l'Etat de Washington Henry Jackson (mort en 1983) critique les grands accords sur le desarmement nucleaire. Il forme alors une generation de jeunes gens ferus de strategie, dont Richard Perle et William Kristol, qui a suivi les cours d'Allan Bloom.

Dans et hors de l'administration, Richard Perle va retrouver Paul Wolfowitz, tous les deux travaillant pour Kenneth Adelman, autre contempteur de la politique de detente, ou Charles Fairbanks, sous-secretaire d'Etat. En matiere strategique, leur maitre a penser est Albert Wohlstetter. Chercheur a la Rand Corporation, conseiller du Pentagone et neanmoins grand specialiste de gastronomie, Wohlstetter (mort en 1997) est un des peres de la doctrine nucleaire americaine.

Plus exactement, il est a l'origine de la remise en question de la doctrine traditionnelle, dite de destruction mutuelle assuree (MAD, selon le sigle anglais), qui fondait la dissuasion. Selon cette theorie, les deux blocs ayant la capacite d'infliger a l'autre des dommages irreparables, les responsables hesiteraient a declencher le feu nucleaire. Pour Wohlstetter et ses eleves, MAD etait a la fois immorale - par les destructions infligees aux populations civiles - et inefficace: elle aboutissait a une neutralisation mutuelle des arsenaux nucleaires. Aucun homme d'Etat doue de raison, en tout cas aucun president americain, ne deciderait un suicide reciproque. Wohlstetter proposait au contraire une dissuasion graduee, c'est-a-dire l'acceptation de guerres limitees, eventuellement avec des armes nucleaires tactiques, avec des armes intelligentes, de haute precision, capables de s'attaquer aux dispositifs militaires de l'adversaire.

Il critiquait la politique de controle des armements nucleaires menee de concert avec Moscou. Elle revenait, selon lui, a brider la creativite technologique des Etats-Unis pour maintenir un equilibre artificiel avec l'URSS.

Il sera ecoute par Ronald Reagan, qui lance l'Initiative de defense strategique (SDI), baptisee guerre des etoiles, ancetre de la Defense antimissiles, reprise par les eleves de Wohlstetter. Ceux-ci seront les plus chauds partisans d'une denonciation unilaterale du traite ABM, qui, a leurs yeux, empechait les Etats-Unis de developper ses systemes de defense. Et ils ont convaincu George W. Bush.

Sur le chemin de Perle et de Wolfowitz, on croise encore Elliott Abrams, aujourd'hui responsable du Proche-Orient au Conseil national de securite a la Maison Blanche, et Douglas Feith, un des sous-secretaires a la defense. Tous se rejoignent dans un soutien inconditionnel de la politique menee par l'Etat d'Israel, quel que soit le gouvernement en place a Jerusalem. Ce soutien sans faille explique qu'ils se placent sans sourciller derriere Ariel Sharon. Les deux mandats du president Ronald Reagan (1981 et 1985) avaient donne l'occasion a nombre d'entre eux d'exercer leurs premieres responsabilites gouvernementales.

A Washington, les neoconservateurs ont tisse leur toile. La creativite est de leur cote. Au fil des ans, ils marginalisent les intellectuels du centre ou du centre gauche democrate, pour occuper une place preponderante dans les lieux ou se forgent les idees qui vont dominer la scene politique. Ce sont des revues comme National Review, Commentary, The New Republic, dirigee un temps par le jeune straussien Andrew Sullivan; l'hebdomadaire The Weekly Standard, propriete du groupe Murdoch, dont la chaine de television Fox News assure la diffusion de la version vulgarisee de la pensee neoconservatrice. Ce sont des pages editoriales comme celles du Wall Street Journal, qui, sous la responsabilite de Robert Bartley, donnent sans complexe dans le militantisme neoconservateur. Ce sont des instituts de recherche, les fameux think tanks, comme le Hudson Institute, The Heritage Fondation ou l'American Enterprise Institute. Ce sont des familles aussi: fils d'Irving Kristol, le tres urbain William Kristol dirige The Weekly Standard; un fils de Norman Podhoretz a travaille pour l'administration Reagan; fils de Richard Pipes - juif polonais emigre aux Etats-Unis en 1939, professeur a Harvard et un des plus grands critiques du communisme sovietique -, Daniel Pipes denonce dans l'islamisme le nouveau totalitarisme menacant l'Occident.

Ces hommes ne sont pas des isolationnistes, au contraire. Ils ont generalement une vaste culture et une grande connaissance des pays etrangers, dont ils maitrisent souvent la langue. Ils n'ont rien a voir avec le populisme reactionnaire d'un Patrick Buchanan, qui prone un repli de l'Amerique sur ses problemes interieurs.

Les neoconservateurs sont internationalistes, partisans d'un activisme resolu des Etats-Unis dans le monde. Ils ne le sont pas a la maniere du vieux Parti republicain (Nixon, George Bush pere), confiant dans les merites d'une Realpolitik peu regardante sur la nature des regimes avec lesquels les Etats -Unis passent des alliances pour defendre leurs interets. Un Kissinger fait, pour eux, figure d'antimodele. Mais ils ne sont pas non plus internationalistes dans la tradition democrate wilsonienne (du nom du president Woodrow Wilson, pere malheureux de la Societe des nations), celle de Jimmy Carter ou de Bill Clinton. Ceux-la sont juges naifs ou angeliques, qui comptent sur les institutions internationales pour repandre la democratie.

Apres le stratege, le philosophe. Il n'existe pas de liens directs entre Albert Wohlstetter et Leo Strauss, mort en 1973, avant l'apparition officielle du neoconservatisme. Mais, dans le reseau des neoconservateurs, certains ont jete des ponts entre les enseignements des deux hommes, bien que leurs domaines de recherche aient ete fondamentalement differents.

Par filiation ou par capillarite (Allan Bloom, Paul Wolfowitz, William Kristol...), la philosophie de Strauss a servi de substrat theorique au neoconservatisme. Strauss n'a pratiquement pas ecrit sur l'actualite de la politique ou des relations internationales. Il etait lu et reconnu pour son immense erudition des textes classiques grecs ou des Ecritures chretiennes, juives et musulmanes. Il etait salue pour la puissance de sa methode interpretative.

Il a reussi la greffe de la philosophie classique, avec la profondeur allemande, dans un pays sans grande tradition philosophique, explique Jean-Claude Casanova, que son maitre, Raymond Aron, envoya etudier aux Etats-Unis. Aron avait une grande admiration pour Strauss, croise a Berlin avant la guerre. Il conseilla a plusieurs de ses eleves, comme Pierre Hassner ou quelques annees plus tard Pierre Manent, de se tourner vers lui.

Leo Strauss etait ne a Kirchhain, en Hesse, en 1899, et avait quitte l'Allemagne a la veille de l'arrivee de Hitler au pouvoir. Apres un bref sejour a Paris puis en Angleterre, il avait gagne New York, ou il enseigna a la New School of Social Research avant de fonder a Chicago le Committee on Social Thought, qui deviendra le creuset des straussiens.

Il serait simpliste et reducteur de ramener l'enseignement de Leo Strauss aux quelques principes dans lesquels ont pu puiser les neoconservateurs qui entourent George W. Bush. De meme que le neoconservatisme plonge ses racines dans d'autres traditions que l'ecole straussienne. Mais la reference a Strauss forme un arriere-plan pertinent au neoconservatisme a l'oeuvre actuellement a Washington. Elle permet de comprendre en quoi le neoconservatisme n'est pas une simple foucade de quelques faucons; en quoi il s'appuie sur des bases theoriques, peut-etre contestables, certainement pas mediocres. Le neoconservatisme se situe a la jonction de deux reflexions presentes chez Leo Strauss.

La premiere est liee a son experience personnelle. Jeune homme, il a vecu la decrepitude de la Republique de Weimar sous les coups de boutoir convergents des communistes et des nazis. Il en a conclu que la democratie n'avait aucune chance de s'imposer si elle restait faible et refusait de se dresser contre la tyrannie, par nature expansionniste, fut-ce en recourant a la force: La Republique de Weimar etait faible. Elle n'eut qu'un moment de force, sinon de grandeur: sa violente reaction a l'assassinat du ministre juif des affaires etrangeres Walther Rathenau en 1922, ecrit Strauss dans un avant -propos a la Critique de la religion chez Spinoza. Dans l'ensemble, elle presentait le spectacle d'une justice sans force ou d'une justice incapable de recourir a la force.

La deuxieme reflexion est la consequence de sa frequentation des Anciens. Pour nous comme pour eux, la question fondamentale est celle du regime politique, qui faconne le caractere des hommes. Pourquoi le XXe siecle a-t-il engendre deux regimes totalitaires que, revenant au terme d'Aristote, Strauss prefere appeler tyrannies? A cette question qui taraude les intellectuels contemporains, Strauss repond: parce que la modernite a provoque un rejet des valeurs morales, de la vertu qui doit etre a la base des democraties, et un rejet des valeurs europeennes, que sont la raison et la civilisation.

Ce rejet trouve, selon lui, sa source dans les Lumieres, qui ont produit de maniere quasi necessaire l'historicisme et le relativisme, c'est-a-dire le refus d'admettre l'existence d'un Bien superieur, se refletant dans les biens concrets, immediats, contingents, mais ne se reduisant pas a eux, un Bien inatteignable qui doit etre l'etalon de mesure des biens reels.

Traduit en termes de philosophie politique, le relativisme a eu pour consequence extreme la theorie de la convergence entre les Etats-Unis et l'Union sovietique, tres en vogue dans les annees 1960-1970. Elle aboutissait a reconnaitre a la limite une equivalence morale entre la democratie americaine et le communisme sovietique. Or, pour Leo Strauss, il existe des bons et des mauvais regimes; la reflexion politique ne doit pas se priver de porter des jugements de valeur et les bons regimes ont le droit - et meme le devoir - de se defendre contre les mauvais. Il serait simpliste d'operer une transposition immediate entre cette idee et l'axe du Mal, denonce par George W. Bush. Mais il est bien clair qu'il procede de la meme origine.

Cette notion centrale de regime, comme matrice de la philosophie politique, a ete developpee par les straussiens, qui se sont interesses a l'histoire constitutionnelle des Etats-Unis. Strauss lui-meme - par ailleurs admirateur de l'Empire britannique et de Winston Churchill, comme exemple d'homme d'Etat mu par une volonte - pensait que la democratie americaine etait le moins mauvais des systemes politiques. On n'avait rien trouve de mieux pour l'epanouissement de l'homme, meme si les interets avaient tendance a remplacer la vertu comme fondement du regime.

Mais, surtout, ses eleves, comme Walter Berns, Hearvey Mansfield ou Harry Jaffa, ont nourri l'ecole constitutionnaliste americaine. Celle-ci voit dans les institutions des Etats-Unis plus que l'application de la pensee des Peres fondateurs, la realisation de principes superieurs, voire, pour un homme comme Harry Jaffa, de l'enseignement biblique. Dans tous les cas, la religion, eventuellement civile, doit servir de ciment aux institutions et a la societe. Cet appel a la religion n'etait pas etranger a Strauss, mais ce juif athee s'amusait a brouiller les pistes, selon l'expression de Georges Balandier; il considerait la religion comme utile pour entretenir les illusions du plus grand nombre, illusions sans lesquelles l'ordre ne pouvait etre maintenu. En revanche, le philosophe devait conserver son esprit critique et s'adresser au petit nombre dans un langage code, matiere a interpretation, intelligible pour une meritocratie fondee sur la vertu.

Pronant un retour aux Anciens contre les pieges de la modernite et les illusions du progres, Strauss n'en defend pas moins la democratie liberale, fille des Lumieres - et la democratie americaine, qui semble en etre la quintessence. Contradiction? Sans doute, mais une contradiction qu'il assume a l'instar d'autres penseurs du liberalisme (Montesquieu, Tocqueville). Car la critique du liberalisme, qui court le risque de se perdre dans le relativisme - si tout peut etre dit, la recherche de la Verite perd de sa valeur -, est indispensable a sa survie. Pour Strauss, le relativisme du Bien a pour consequence une incapacite a reagir contre la tyrannie.

Cette defense active de la democratie et du liberalisme reapparait dans la vulgate politique sous la forme d'un des themes favoris des neoconservateurs. La nature des regimes politiques est beaucoup plus importante que toutes les institutions et arrangements internationaux pour le maintien de la paix dans le monde. La plus grande menace provient des Etats qui ne partagent pas les valeurs (americaines) de la democratie. Changer ces regimes et faire progresser les valeurs democratiques constitue le meilleur moyen de renforcer la securite (des Etats-Unis) et la paix.

Importance du regime politique, eloge de la democratie militante, exaltation quasi religieuse des valeurs americaines et opposition ferme a la tyrannie: bien des themes qui sont la marque des neoconservateurs peuplant l'administration Bush peuvent etre tires de l'enseignement de Strauss, parfois revu et corrige par les straussiens de la deuxieme generation. Une chose les separe de leur maitre putatif: l'optimisme teinte de messianisme que les neoconservateurs deploient pour apporter les libertes au monde (au Moyen -Orient demain, hier a l'Allemagne et au Japon), comme si le volontarisme politique pouvait changer la nature humaine. C'est encore une illusion, qu'il est peut-etre bon de repandre pour le plus grand nombre, mais a laquelle le philosophe, lui, ne doit pas se laisser prendre.

Reste une enigme: comment le straussisme, qui etait d'abord fonde sur une transmission orale largement tributaire du charisme du maitre et qui s'exprimait dans des livres austeres, textes sur les textes, a-t-il assis son influence sur une administration presidentielle? Pierre Manent, qui dirige a Paris le Centre de recherches Raymond-Aron, avance l'idee que l'ostracisme dont auraient ete victimes les eleves de Leo Strauss dans les milieux universitaires americains les a pousses vers le service public, les think tanks et la presse. Ils y sont relativement surrepresentes.

Une autre explication - complementaire - tient dans le vide intellectuel consecutif a la fin de la guerre froide que les straussiens, et a leur suite les neoconservateurs, semblaient les mieux prepares a remplir. La chute du mur de Berlin leur a donne raison dans la mesure ou la politique musclee de Reagan vis-a-vis de l'URSS a precipite sa perte. Les attentats du 11 septembre 2001 ont confirme leur these sur la vulnerabilite des democraties face aux diverses formes de tyrannie. De la guerre en Irak, ils seront tentes de tirer la conclusion que le renversement des mauvais regimes est possible et souhaitable. Face a cette tentation, l'appel au droit international peut se reclamer d'une certaine legitimite morale. Il lui manque, jusqu'a nouvel ordre, le pouvoir de conviction et de contrainte.

Monday, June 07, 2004

The Project for the New American Century: Rebuilding America's Defenses



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US Neoconservatives

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LRB | Perry Anderson : Stand-Off in Taiwan

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